Si tu t’appelles mélancolie

Ariane Vitalis
5 min readJun 15, 2024

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Je crois qu’une bonne partie des chansons de Françoise Hardy sont très représentatives d’une certaine mélancolie. Quand je suis allée au concert de Kyo il y a quelques mois, le chanteur Ben a demandé au public :

“Vous vous reconnaissez dans nos chansons ?”

Le public a répondu : “oui !”

Et Ben a dit : “vous avez vraiment une vie de merde alors !”
Le public a répondu “oui !” à nouveau.

Ce public, c’était un public de jeunes trentenaires qui écoutaient Kyo quand ils avaient 15 ans. Les chansons de Kyo étaient le souvenir de notre adolescence.

Kyo, Françoise Hardy… Ce sont des chansons qui content beaucoup la tristesse. Et tout particulièrement la tristesse de certains jeunes, qui ont une personnalité un peu “différente”. Dans Je cours, Kyo chante l’époque du lycée. Dans Tous les garçons et les filles, Françoise Hardy chante aussi l’époque du lycée. Ce sont des auteurs-compositeurs qui content une période précise : l’adolescence. Normal, ils étaient eux-mêmes très jeunes lorsqu’ils ont écrit ces chansons.

Faites-moi de la place
Juste un peu de place
Pour ne pas qu’on m’efface
J’n’ai pas trop d’amis
Regardez en classe
C’est pas l’extase
J’ai beaucoup d’espace
Je suis seul
Et personne à qui le dire
C’est pas l’pire
Quand la pause arrive
Je ne suis pas tranquille
Il faut que je m’éclipse
Ou alors, accuser les coups, ou dehors

Il faudra que je coure
Tous les jours
Faudra-t-il que je coure
Jusqu’au bout ?

Je n’ai plus de souffle
Je veux que l’on m’écoute
Plus de doutes
Pour m’en sortir
Je dois tenir
Et construire mon futur
Partir à la conquête
D’une vie moins dure
Sûr que c’est pas gagné
Mais j’assure mes arrières
Pour connaître l’amour et le monde

Quand j’écoute cette chanson de Kyo, j’ai l’impression d’entendre une bonne partie de mon rapport au monde. J’ai toujours été assez triste dans mon adolescence. Je crois que mes conditions de vie (le collège/lycée/université) ne me convenaient pas, en grande partie à cause d’une sociabilité difficile. Françoise Hardy souffrait de “son introversion qui l’empêchait de se lier avec les autres filles.”

Nous avons tous des personnalités différentes, et c’est vrai que pour des jeunes qui ont un caractère introverti, un univers intérieur marqué, un goût pour les mots et les idées, c’est souvent difficile. Les groupes sociaux qui se forment au lycée sont basés sur une “conscience de groupe”, où les individualités de chacun ne sont pas appuyées. Pour des personnes comme Françoise Hardy, Kyo ou moi, c’est difficile d’être “noyés” dans des groupes où l’individualité est effacée, précisément parce que nous avons une “identité” très marquée.

Par exemple, les Françoise Hardy et autres Kyo sont des personnes qui vont préférer avoir une conversation profonde avec une seule personne, plutôt qu’être perdus dans un groupe d’adolescents-jeunes où “l’esprit de conversation” n’est pas spécialement recherché.

Puis surtout, ce qui est dur pendant la jeunesse, c’est que nous sommes en lien avec des personnes qui ne partagent pas vraiment le même univers que nous. Je pense que cela a dû être un grand soulagement pour Françoise Hardy, Kyo et de nombreux autres d’en finir avec les études et le monde relationnel qui y était rattaché, et d’entrer dans ce qui était “leur monde” : la musique, la chanson.

Je sais pas ce que j’ai fiché en Lettres Modernes pendant toutes ces années. J’étais là parce que je ressentais une cohérence entre ce choix d’études et mon désir d’écriture. Et pourtant, encore, je souffrais de conditions de vie qui ne m’allaient pas vraiment. Mais je m’adaptais. Mais ces énergies de souffrance venaient me piquer beaucoup trop souvent.

Quitter les études m’a fait un bien fou, dans le sens où ça m’a permis d’entrer dans mon “vrai monde”.

Le bonheur est lié à différentes choses.
D’abord, il y a nos “conditions de vie”. Par exemple, si je me lève tous les jours à 7h du matin pour aller dans un lycée où mes liens sociaux sont difficiles, mon niveau de “bonheur” va être différent que si je me lève quand je n’ai plus sommeil pour retrouver des gens que je kiffe et faire des activités géniales avec eux.

Ensuite, il y a notre personnalité. Moi, j’ai un naturel très gai et très joyeux, dans le sens où je suis très souriante, très souvent dans une bonne humeur, guillerette dans la vie de manière générale. Mais cet aspect de ma personnalité n’empêche pas que dans mon intérieur, il y a beaucoup de peine. Cette peine, je la communique à l’écrit, mais dans ma vie “matérielle”, elle n’apparaît pas du tout. Ce qui est au fond de mon coeur n’est pas visible.

“Le répertoire de Françoise Hardy, basé sur des mélodies mélancoliques qu’elle affectionne, est en grande partie le reflet des doutes, des interrogations et de l’anxiété que suscitent en elle les tourments des relations sentimentales et de la nostalgie en général. À son apogée, elle chante en français, anglais et allemand.
Parallèlement à l’écriture de chansons, elle s’est intéressée à l’astrologie dans laquelle elle voyait un complément à la psychologie.
Mariée à Jacques Dutronc, elle est la mère de Thomas Dutronc, également chanteur. (…)
Françoise Hardy effectue sa scolarité dans une institution religieuse de la rue La Bruyère, chez les sœurs trinitaires, à l’initiative de son père. Elle déteste cette école en raison de la situation familiale de ses parents qui ne vivent pas ensemble, du fait que son père paie tardivement les frais de scolarité, de sa différence sociale et d’âge qui lui fait sauter une classe, ou de
son introversion qui l’empêche de se lier avec les autres filles.”

Seule devant ta glace
Tu te vois triste sans savoir pourquoi
Et tu ferais n’importe quoi
Pour ne pas être à ta place

Si tu t’appelles mélancolie
Si l’amour n’est plus qu’une habitude
Ne me raconte pas ta vie
Je la connais, ta solitude
Si tu t’appelles mélancolie
On est fait pour l’oublier ensemble
Les chiens perdus, les incompris
On les connaît, on leur ressemble

Et demain peut-être
Puisque tout peut arriver, n’importe où
Tu seras là, au rendez-vous
Et je saurai te reconnaître

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